mercredi 31 juillet 2013

Requiem sans grandes pompes

La quatrième de couverture promettait : « Meurtres, kidnappings, complots, tableaux mystérieux... Une intrigue vertigineuse au cœur de l’œuvre de Paul Cézanne, entre Paris et Aix-en-Provence. Une plongée bouleversante dans le monde de l’art et les secrets de la création. [...] Dans Requiem pour Cézanne, Bertrand Puard concilie la force des romans du XIXe siècle avec l’intensité des thrillers contemporains ».
Je ne suis pas né de la dernière averse, qu’elle soit parisienne ou provençale, et il y a longtemps que je ne me fie plus aux élans dithyrambiques des quatrièmes de couverture des romans. À de rares exceptions près, ce sont des publicités qui frôlent le mensonger. Mais, comme il se trouve toujours des lecteurs pour se pâmer – en toute bonne foi – après avoir lu ces romans, un éditeur pourrait toujours se retrancher derrière leurs témoignages pour défendre la sincérité de sa publicité.



Comme je suis de plus en plus difficile à satisfaire en matière de romans policiers, j’abordais ce Requiem pour Cézanne, de Bertrand Puard (éditions Belfond, 2006, ISBN 2-7144-4258-7) sans en attendre le vertige promis. Je me disais, tiens, pourquoi pas une escapade à la Belle Époque, à un moment où l’art pictural bouillonne, entre l’impressionnisme qui a encore du mal à être reconnu, et le cubisme tout juste naissant ?
De retour de cette escapade, le bilan est mitigé. Et je crois que je vais pouvoir recycler ce que j’ai déjà écrit sur pas mal de « polars historiques ». Pour faire simple : côté « ambiance d’époque », le client – moi, en l’occurrence – en a à peu près pour son argent ; côte « intrigue policière », l’idée est assez originale, mais le traitement me laisse tiède.

Les personnages sont tellement conformes à ce qui est devenu un canon du polar historique que je n’arrive plus à m’y laisser prendre. L’héroïne est une jeune femme écrivain, qui écrit des romans policiers mais aussi une biographie de Cézanne, et qui travaille comme serveuse dans un café mais sans toucher de salaire (elle n’encaisse que des pourboires) pour pouvoir se mêler, quand elle le veut, aux conversations des peintres qui fréquentent l’estaminet en question. Elle entretient des relations (professionnelles) qui ont des hauts et des bas avec un éditeur. Sa logeuse est, comme il se doit, une mégère. Mêlée à une affaire mystérieuse, elle aide un agent des « brigades du Tigre » récemment créées, qui l’aide en retour, mais aucun des deux ne livre à l’autre tout ce qu’il ou elle sait. Sans oublier le nouveau voisin de palier de la donzelle, artiste sculpteur mais qui a un secret. Et le rentier états-unien devenu mécène d’art, dont on se demande quel jeu il joue. Et les fonctionnaires du ministère de la culture, totalement incompétents pour déceler ceux qui, à l’avenir, verront leur peinture éblouir le monde entier. Et les sbires du Grand Méchant, capables de dézinguer trois personnes pour camoufler un secret, mais pas de dessouder cette jeune femme fouineuse.
Au final, cela me donne l’impression de quelque chose de très calibré, au parfum d’artifice.

Reste que le roman ouvre la porte à quelques réflexions sur le petit monde de l’art, sur l’ouverture – ou la fermeture – d’esprit des institutions (musées, etc.), des collectionneurs, des marchands, à l’émergence de styles nouveaux, parfois en rupture avec ce qui précédait. Mais pas au point de se révéler « une plongée bouleversante dans le monde de l’art et les secrets de la création ».

Au total, je n’ai pas été pris de vertige, ni n’ai ressenti « l’intensité d’un thriller contemporain » (quoique, dans ce genre littéraire-là, il y ait aussi des soupes franchement tièdes !). Une lecture finalement gentillette, qui ne me laissera pas un souvenir indélébile, ni même durable.


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lundi 29 juillet 2013

Les Indes (pas trop) vénéneuses

An 1606 de l’Hégire (milieu de notre XVIIe siècle). L’empire moghol de Shâh Jahân est probablement à son apogée sur le plan culturel, mais sur le plan de politique intérieure et de relations avec ses voisins, les tensions – voire les conflits – ne manquent pas. Et, plus encore que les Portugais ou les Hollandais avant eux, et les Français après eux, les Anglais entreprennent de s’implanter dans le paysage commercial et politique de l’Inde.
Voilà, en quelques mots, le contexte du roman Le camée anglais de Madhulika Liddle (éditions Piquier Poche, 2013, 978-2-80970917-9 ; version originale : The Englishman's Cameo, 2008). Je ne suis pas familier de l’empire moghol de cette période, m’étant plus intéressé à l’Inde de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Ce roman me semblait pouvoir constituer une porte d’entrée à ma curiosité.



Mission à peu près accomplie en ce qui concerne l’ambiance générale. Comme dans beaucoup de « polars historiques », l’auteur arrive ici à rendre vivante la ville de Dilli (que nous appelons Delhi), ses palais, ses marchés, ses boutiques, ses jardins, et toute l’humanité qui la peuple. Je ne saurais dire si c’est exact, ni même seulement vraisemblable, mais au moins, ça a du corps.
En corollaire, comme dans beaucoup de polars historiques écrits par des gens qui sont (ou semblent être) des historiens ou, en tout cas, passionnés d’une période qu’ils veulent faire partager à leurs lecteurs, c’est encore l’intrigue qui pèche ici par sa faiblesse, sa tiédeur. Quelques meurtres (un notable, une courtisane de haut vol) posent les bases, l’accusé premier – évidemment sympathique – est bien sûr innocent mais il faut le prouver, vraies pistes et fausses pistes se mêlent pour soutenir un peu le suspense, mais, au final, ça ne m’a pas vraiment pris aux tripes. Cocktail finalement classique de malversations et, il fallait s’en douter, de grenouillages d’agents anglais (le titre du roman ne ment pas…). Même la galerie des personnages en arrive à être sans surprise : un noble un peu excentrique qui joue les détectives, son beau-frère heureusement chef de la police (ce qui lui permet d’avoir des tuyaux bienvenus), le batelier qui sert de relais avec le petit peuple, les administrateurs provinciaux qui volent dans les caisses, etc.

Cette escapade moghole a donc été une lecture facile, mais pas du genre à me donner envie de m’accrocher au livre pour le dévorer en étant saisi par le suspense.


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dimanche 28 juillet 2013

Enquêtes en babouches

C’est avec The Janissary Tree (2006 ; publié en français sous le titre Le complot des janissaires, 2007, éditions Plon, 10/18, collection Grands détectives, ISBN 978-2-259-20316-6) que j’ai découvert la série de polars historiques écrite par Jason Goodwin. Puis, j’ai poursuivi avec Le mystère Bellini (2010, éditions Plon, 10/18, collection Grands détectives ISBN 978-2-264-05071-7 ; en version originale, The Bellini Card, 2008) et, tout récemment, avec Mauvais œil (2012, éditions Plon, 10/18, collection Grands détectives, ISBN 978-2-259-21016-4) ; An Evil Eye en VO, 2011).


Cette série, ou tout au moins les 3 romans que j’en ai lus, sur les 4 publiés pour l’instant, m’a accroché à la fois par son décor et par ses personnages.

Son décor est l’empire ottoman dans le premier tiers du XIXe siècle. La « Sublime Porte » est, alors, à une époque paradoxale de son histoire. Elle n’est plus, loin s’en faut, la grande puissance méditerranéenne qu’elle a été aux siècles précédents : de plus en plus de territoires sous son contrôle ont secoué le joug ottoman, certains obtenant même leur indépendance (la Grèce, par exemple) ou se comportant comme tels (l’Égypte) ; qui plus est, les caisses de l’État sont vides. Le voisin russe ne cache pas ses appétits pour les territoires turcs, et la Turquie doit se trouver des protecteurs européens (la France, le Royaume-Uni) pour s’en protéger. Un secours qui lui fait perdre d’autres territoires, qui passent sous le contrôle de ces « chers » alliés. Pourtant, d’un autre côté, c’est aussi la période où l’Empire ottoman entame une évolution forte (certains parlent de « modernisation ») de son administration, de son armée, etc. Ce qui ne manque pas d’engendrer des dissensions, au sein de la société ottomane, entre tenants de la « tradition » et tenants de la « modernité ». Ce décor est donc un terreau favorable aux intrigues, tant domestiques que diplomatiques, des salons du harem aux boutiques des souks, des couloirs du palais aux venelles populeuses.


Quant à ses personnages, c’est une foule bigarrée à l’image de cette ville que nous peint Goodwin. Et le premier d’entre eux n’est pas le moins surprenant. Hachim (Yashim, en VO), le « héros » de cette série – le détective, comme il se doit, dénoueur des intrigues pour le compte du Palais – n’est autre qu’un eunuque. Homme qui n’en est plus tout à fait un, il peut se glisser partout, y compris au cœur du harem, dans les appartements réservés aux femmes. Pleinement turc, il sait sentir le pouls qui bat dans la ville. Homme de culture, il est également capable de côtoyer, voire d’affronter, les représentants des puissances étrangères.
Parmi ces derniers, Stanislaw Palewski, étonnant représentant diplomatique d’une Pologne qui, de fait, n’existe pas, dépecée qu’elle a été entre Russie, Prusse et Autriche, mais qui s’accroche à son idée d’une Pologne réunifiée. Hicham et Palewski forment un étonnant duo, l’un travaillant pour le vizir d’un État en plein bouleversement, l’autre pour un pays qui espère un avenir.
Et derrière ce duo de premier-plan, une riche distribution de rôles. Personnages savoureux, du sultan aux vendeurs d’eau, des favorites du sultan aux courtisanes, des officiers turcs aux officiers russes, des lettrés aux proxénètes.
Istanbul est alors à la fois un décor et un acteur kaléidoscopiques, et cette richesse se retrouve ailleurs, comme à Venise où l’une des enquêtes (Le mystère Bellini) conduit Hicham.

Les trois romans que j’ai lus partagent cette ambiance riche, ces galeries de personnages attachants (même ceux que l’on s’attache à détester), ces intrigues dans le palais et hors du palais, sans pour autant que j’y aie trouvé des redondances ou des similitudes marquées. Un dépaysement bien sympathique.


Le bémol vient plutôt des intrigues elles-mêmes, et de la façon dont elles sont conduites et contées. Leurs fins me semblent précipitées, presque bâclées, avec une avalanche d’informations arrivant tardivement et éclairant, tout à trac, ce que le lecteur n’avait pu comprendre jusque-là. Pas tout à fait comme dans les romans d’Agatha Christie, mais pas loin (et comme je ne suis pas client des romans d’Agatha Christie…). Le complot des Janissaires me semble, en cela, le moins bon des trois ; Le mystère Bellini moins brouillon, même s’il reste touffu ; quant à Mauvais œil, les éléments « géopolitiques » de son intrigue ont réussi à garder mon attention jusqu’au bout, même si ce bout est, lui aussi, plutôt précipité.




Autre bémol, plus anecdotique, et sous forme de question : pourquoi certains auteurs de polars se sentent-ils obligés de faire de leurs personnages des gastronomes qui cuisinent – ou se font expliquer des recettes – trois ou quatre fois par roman ? Cela me paraissait sympathique quand j’avais découvert, dans les années 1980, le détective privé né sous la plume de Manuel Vázquez Montalbán, Pepe Carvalho, fine bouche et cordon bleu. Mais, à force d’en croiser dans les romans (la série des Nero Wolfe de Rex Stout ; les Stanley Hastings par Parnell Hall ; les Nicolas Le Floch de Jean-François Parot), la BD (la série Tony Chu détective cannibale de Rob Guillory et John Layman ; l’Agent de la National de Sampayo et Schiaffino), le cinéma (Blind Detective, de Johnny To), je dois dire que ça me lasse un peu.



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