Juge antimafia, en Italie (comme ailleurs), est une profession à
risque. À risque mortel,
s’entend. Les noms de Giovanni Falcone, assassiné le 23 mai 1992,
de Francesca Laura Morvillo-Falcone, son épouse et magistrate elle
aussi, assassinée dans le même attentat, ou de Paolo Borsellino,
assassiné le 19 juillet 1992, témoignent, parmi d’autres, de
l’état de cible à abattre que représentent ces empêcheurs de
corrompre et trafiquer en rond.
Pourtant, c’est une perspective un peu différente que je
choisis de suivre, pour ce billet, pour jeter un petit coup de
projecteur sur ceux qui choisissent de s’interposer entre ces
cibles et ceux qui veulent les abattre. Oh, bien sûr, contre des
attentats à la voiture piégée par 500kg d’explosifs, ce n’est
pas la présence d’un, deux ou dix gardes du corps qui va changer
la donne. Pourtant, des hommes et de femmes décident de jouer ce
rôle de rempart, au péril de leur vie. Un péril tout à fait
réel : trois membres de l’escorte des Falcone, et cinq de
celle de Borsellino tombent avec ceux qu’ils ont fait serment de
protéger.
Et pour illustrer ce lien entre ces juges et leurs boucliers
humains, j’ai retenu le film La scorta / L’escorte
(1993) de Ricky Tognazzi, tourné alors que le souvenir des
attentats contre les Falcone et Borsellino était encore vivace.
Présenté dans la Sélection officielle à Cannes (une distinction
qui vaut ce qu’elle vaut, ni plus ni moins), et Grand prix du
Festival du film policier de Cognac, ce film est, de l’aveu du
réalisateur, fortement inspiré d’une rencontre avec le juge
antimafia Francesco Taurisano.
Sans se prétendre un reportage réaliste, le film nous invite
tout de même à découvrir les relations d’un juge avec les
membres de son escorte, en les englobant dans une perspective plus
large, celle de ce groupe (le juge, sa famille, les carabiniers qui
les protège) formant une sorte d’île assiégée par un océan de
menaces avérées ou supposées. Le titre du film ne ment pas,
puisque c’est bien au travers des yeux des membres de l’escorte
que l’on suit l’affaire. Certes, la mission du juge n’est pas
occultée (il enquête sur des magouilles dans l’adduction d’eau,
un élément crucial en Sicile), mais ce n’est pas la pièce
centrale de l’échiquier.
La scorta peint ces gardes-du-corps un tantinet
caricaturaux (l’effacé, le rouleur de mécaniques, le père de
famille, etc.), mais qui prennent de la profondeur au fil de cette
histoire. Leur jeunesse contraste avec la maturité du juge, et
tandis que l’escorte tente d’apporter au juge la sécurité (ou,
au moins, une touche de sécurité), le juge semble apporter à ces
carabiniers un esprit plus posé.
Ici, pas d’ouragan de coups de feu, pas de poursuites effrénées,
et pourtant une tension permanente, celle de la sentinelle qui se
demande d’où et quand viendra le danger, et qui est l’ennemi.
Une tension qui use tant le juge que son escorte, et qui se fait de
plus en plus pesante. Jusqu’à une conclusion qui, sans être le
bain de sang que l’on pouvait redouter, n’en reste pas moins une
défaite de la justice face à la pieuvre mafieuse.
En tant que spectateur, je me suis senti tendu, mais pas écrasé
par l’ennui. Bien au contraire. Un film à conseiller à ceux qui
apprécient les « polars psychologiques ».
Quant à ceux qui voudraient voir un film sur le juge Falcone, je
ne peux que recommander Giovanni Falcone (1993), de Guiseppe
Ferrara, une œuvre peut-être moins connue en France que son Cento
giorni a Palermo / Cent jours à Palerme (1984) qui
tournait autour des derniers temps du général des carabiniers Carlo
Dalla Chiesa, assassiné, avec son épouse et un garde du corps, le 3
septembre 1982.
* * * * *
Défis. Ce billet répond au défi suivant :
Un film que je ne connaissais pas mais que j'espère découvrir bientôt ! Belle année 2013 à toi !!
RépondreSupprimerCes "défis littéraires" sont, pour moi, des occasions d'essayer de jeter un coup de projecteur sur des livres ou films parfois méconnus. Ton défi "Justice" était déjà, lui-même, original, alors il me semblait opportun d'y répondre avec des pièces variées et pas trop ordinaires !
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