mardi 18 décembre 2012

Justice calculée

Si mes souvenirs sont bons, c’est au travers du film The Pelican Brief / L’affaire Pélican (1993), d’Alan Pakula, que j’ai mis mon premier pied dans l’œuvre du romancier John Grisham. Ce film, dont le scénario a été écrit par Pakula et Grisham à partir du roman de ce dernier, publié l’année précédente : The Pelican Brief (Doubleday Books, 1992, ISBN 978-01-385-42198-0 ; traduction française : L’affaire Pélican, Robert Laffont, 1993, ISBN 978-2-221-07389-6).
Ex-avocat reconverti dans l’écriture de romans policiers et judiciaires, John Grisham est devenu un auteur célèbre dès son deuxième roman, The Firm / La firme (1991), porté au grand écran, en 1993 également, par Sydney Pollack. Depuis lors, ces livres font généralement un tabac, et les scénaristes hollywoodiens piochent dans cette mine pour en tirer des films de qualité variable : par exemple, médiocre, à mon sens, pour The Chamber / L’héritage de la haine (1996) de James Foley, et de plus haute volée pour Runaway Jury / Le maître du jeu (2003) de Gary Fleder.




C’est sur le roman dont ce film est adapté, The Runaway Jury (Doubleday Books, 1996, ISBN 978-01-385-47294-3 ; traduction française Le maître du jeu, Robert Laffont, 2004, 978-2-221-10187-1), que je vais donner un coup de projecteur dans ce billet.


L’idée centrale de ce thriller juridique est que, dans un procès aux États-Unis, l’important n’est pas de faire éclater la vérité au grand jour, mais d’obtenir que le jury aille dans le sens de l’accusation ou dans celui de la défense. Et pour obtenir que le jury penche dans le sens qui lui convient, chaque partie semble prête à employer tous les moyens et ce, dès l’étape de la composition du jury. Et c’est bien ce qui est au cœur de ce roman : comment choisir les jurés, les influencer, faire pression sur eux, jusqu’à les manipuler, les « tenir » d’une manière ou d’une autre ?
Et dans cette lutte sans merci mise en scène par ce roman, les deux camps qui s’affrontent ont choisi des stratégies différentes. Deux camps ? Plutôt trois, dirais-je. Ou deux et demi. Vous êtes perdus ? J’explique !


Sans entrer dans les détails qui éventeraient le suspense plutôt bien mené de ce roman, je dirais qu’il y a deux camps classiques, et un troisième intervenant, plus original.
Le camp de l’attaque, celui d’une femme dont le mari est mort des suites d’un cancer dû au tabagisme.
Le camp de la défense, celui des grandes compagnies cigarettières, de sa cohorte de juristes payés à millions, et de ses gros bras qui font le sale boulot d’intimidation.
Et, naviguant entre les deux, un des jurés, qui s’est débrouillé pour être désigné comme juré et semble avoir décidé de brouiller les cartes en manipulant les deux autres camps en ayant, lui-même, la main sur le jury.




Petite parenthèse : cette manipulation du jury « de l’intérieur » n’a rien à voir avec l’intrigue de 12 Angry Men / 12 hommes en colère (voir, en particulier, le téléfilm original de 1954 par Franklin Schaffner, et surtout la superbe version ciné par Sidney Lumet, en 1957), où le juré n°8 tente, au contraire, d’ouvrir les yeux des 11 autres jurés pour leur faire regarder, par-delà les apparences et les préjugés, l’affaire qu’ils doivent juger.


Trois camps dans le jeu, mais il ne peut y avoir qu’un seul « maître du jeu ». Et c’est ce triple jeu dans lequel nous plonge John Grisham, fin connaisseur des rouages – pas toujours beaux – du système judiciaire états-unien. Pot de terre contre pot de fer, David contre Goliath, certes. Mais aussi vieil avocat un peu idéaliste contre jeunes juristes aux dents plus longues que les scrupules. Ou encore finesse de l’esprit contre puissance de l’argent, pressions de l’extérieur contre influence de l’intérieur.


J’ai trouvé que l’intrigue du roman met du temps à s’installer. Au point de m’être senti tenté de tourner les pages plus vite, en ne les lisant qu’en diagonale, pour voir quand cela allait « vraiment commencer ». Mais j’ai tenu bon, et je me suis rendu compte que cette lenteur de la mise en place était peut-être nécessaire à s’installer sans se presser, pour profiter au mieux de tout ce qui se déclenche par la suite, coups et contre-coups, feintes et retournements.


Bref, un roman que j’ai finalement dévoré sans faire la fine bouche.





Quant à son adaptation cinématographique réalisée par Gary Fleder, c’est également une réussite. Le scénario de Brian Koppelman, David Levien, Rick Cleveland et Matthew Chapman densifie l’intrigue, pour un film de deux heures. Dustin Hoffman est très bon en avocat de la partie civile, faussement idéaliste mais combatif. Gene Hackman, sourire carnassier et regard cynique, incarne un manipulateur que l’on adore détester. John Cusack met sa tête de « gendre idéal » au service de ce juré au jeu trouble. Et Rachel Weisz, à la fois fragile et déterminée, apporte un contrepoint féminin bienvenu à ce trio masculin.


Là où le roman met en scène l’affrontement avec les grandes firmes de l’industrie du tabac, le film montre la lutte avec les représentants de l’industrie des armes. Le choix de ce changement n’était pas une question d’être politiquement « correct » ou « incorrect » (les tueries collectives par armes à feu qui ensanglantent l’actualité outre-Atlantique sont, certes, spectaculaires dans le drame, mais le tabac, s’il tue plus discrètement, tue largement plus de monde) ; le choix a été motivé par le fait que le très bon film The Insider / Révélations (1999) de Michael Mann avait déjà traité d’action judiciaire contre l’industrie du tabac, et avait obtenu 7 nominations aux Oscars (sans y décrocher de récompense, toutefois).


Sur papier ou sur écran, ce Runaway Jury sort le grand jeu !



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Défis. Ce billet répond aux défis suivants :

 
 

2 commentaires:

  1. J'ai vu le film il y a un moment et l'avais effectivement trouvé pas mal du tout !

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    1. Il fallait donc qu'il trouvât sa place dans le défi Justice. ;-)

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