lundi 5 novembre 2012

Le coup de la liste

Je vais finir par croire que les conspirateurs qui veulent devenir maîtres du monde ont un ego de la taille de leur cible, et une intelligence pratique inversement proportionnelle. Vais-je devoir rédiger à leur intention La conspiration pour les Nuls, et indiquer, dès le premier chapitre, qu’il ne faut jamais, jamais, JA-MAIS !, écrire, sur un papier, la liste des personnes impliquées dans le complot ? Une telle liste – signée ou pas – du sang des conspirateurs, non seulement c’est grand-guignolesque, mais c’est le genre d’indice que le plus bas de plafond des enquêteurs va finir par découvrir.
Je reviendrai, dans un prochain billet, sur un « polar historique » de Laura Joh Rowland, Shinju / Le sabre et la dague, dans lequel on tombe aussi sur une telle liste. Mais, aujourd’hui, c’est de The List of Seven (William Morow & Co., 1993, ISBN 9780688122454 ; La liste des sept), de Mark Frost, que je vais vous entretenir.


Les télévores associeront sûrement – et avec raison – le nom de Mark Frost à celui de la série Twin Peaks, dont il a été le cocréateur avec David Lynch et l’un des scénaristes et des réalisateurs. Mais, autant avec Twin Peaks, Lynch et Frost ont-il joué la carte du polar intello, quasi-surréaliste, autant Frost, avec sa Liste des sept nous livre un polar dont j’ai du mal à dire s’il s’agit d’une parodie survitaminée d’un roman de Sherlock Holmes à prendre au premier degré ou à un autre degré.
Le lien avec Sherlock Holmes est incontournable. Non seulement parce que le roman se déroule dans l’Angleterre victorienne des années 1880, mais parce que le personnage principal du roman n’est autre que le bon docteur Arthur Conan Doyle, de la plume duquel naîtra le fin limier Holmes, son médical acolyte Watson et son ennemi juré Moriarty. Les fins connaisseurs de l’œuvre holmeso-doylienne – à moins que ce ne soit doylo-holmesienne – dont je ne suis pas (ni dans un sens ni dans l’autre) s’amuseront peut-être à trouver les indices qui lient ce roman de Mark Frost à ceux de son inspirateur : les adresses de telle maison, l’addiction à la cocaïne de tel personnage, les ressemblances de noms de personnes, etc. Je dois reconnaître que cela m’est plutôt passé au-dessus de la tête, et que j’ai donc peut-être perdu des petits riens qui contribueraient à faire le sel de ce roman.

Puisque ces détails m’ont, pour la plupart, échappé, venons-en au fond du roman. Cela commence plutôt bien, dans une ambiance de mystère victorien assez classique, avec une pointe de noirceur inquiétante, aux frontières du rationnel, à la From Hell (2001), l’adaptation cinématographique que les jumeaux Albert et Allen Hugues ont tirée du roman graphique d’Alan Moore (scénario) et Eddie Campbell (dessin). Ou le très bon téléfilm Jack the Ripper / Jack l’éventreur (1988) de David Wickes, avec l’excellent Michael Caine. Jack l’Éventreur n’est d’ailleurs pas si étranger que ça au roman, qui compte aussi parmi ses invités Bram Stoker, le « père » de Dracula.
Puis, comment dire ?... Ça tourne à tout autre chose. Au diable la finesse holmesienne ! Sortons les monstres, les flingues, les effets spéciaux ! Des momies revenues à la vie dans les sous-sols du British Museum, des sangsues géantes, des expériences de lobotomies et de drogues psychotropes, un espion au service de la Reine mais échappé d’un asile de fous, un manoir dans les brumes du Yorkshire, un complot mêlant des bellicistes de rêvant l’embrasement du monde et de satanistes qui, eux, rêvent de ramener sur Terre Celui-qu’on-ne-doit-pas-nommer-mais-qui-porte-mille-noms. Et, bien sûr, la liste des noms des conspirateurs, histoire que quelqu’un comprenne qu’ils sont liés, à défaut de comprendre pourquoi ils le sont... Ah, et j’ai failli oublié : le grand méchant (c’est-à-dire le plus méchant des sept, le cerveau, les six autres n’étant là qu’à titre utilitaire ou presque) et un des gentils sont frères, histoire d’ajouter du piment abeletcaïnesque à une tambouille dans lesquels les ingrédients étaient déjà nombreux et épicés.


Quand je vois ça au cinéma, je peux en être bon public : je peux applaudir à The Mummy / La momie (1999) de Stephen Sommers – même si ma préférence va quand même à Raiders of the Lost Ark / Les aventuriers de l’arche perdue (1981) de Steven Spielberg. Voire, quitte à bousculer les canons holmesiens, savourer sans fausse pudeur le Sherlock Holmes (2009) de Guy Ritchie et son pétillant duo formé par Robert Downey Jr. (Holmes) et Jude Law (le Dr. Watson). Mais, sous forme de livre, j’accroche beaucoup moins : cela me semble plus poussif, et j’en arrive à lire en diagonale juste pour avec une idée du fil du récit sans être englué dans les détails et les rebondissements parfois artificiels.

Quand il s’agit d’une menace sournoise qui cherche à saper les fondations de l’empire britannique, je penche plutôt vers des romans comme ceux de Fu Manchu par Sax Rohmer (même si je ne me complais pas dans le racisme et le mépris qui parcourent ces romans). Et je préfère l’écriture d’un Tim Powers, par exemple dans The Anubis Gates / Les portes d’Anubis (1983), à celle de Mark Frost, fort heureusement allégée par des dialogues piqués d’ironie et de second degré.

Cette Liste des sept séduira probablement ceux qui sont capables de se dépouiller volontairement de leur incrédulité pour se laisser emporter par le tourbillon de ce récit où tout est « plus ». Moi, j’ai trouvé que c’est un peu « trop ».



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 Défis. Ce billet répond aux défis suivants :


 

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